Une économie mondiale globalisée, exacerbée par les crises

Dans une économie globalisée, les différentes crises que les entreprises vivent depuis 3 ans ont un poids de plus en plus important sur leur capacité de résistance et de résilience. Le redémarrage rapide de l’économie mondiale, la pandémie qui perdure et le conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine soutiennent les incertitudes économiques et mettent en avant des tensions dans les échanges internationaux. Ainsi, l’ensemble de ces matérialités (chaîne logistique, matières premières, énergies, sanctions commerciales…) pèsent sur les échanges internationaux et affectent la liquidité des entreprises. De plus, avec en toile de fond une inflation qui progresse, le changement climatique a des impacts économiques et sociaux sur les capacités futures d’adaptation des entreprises en modifiant parfois leur modèle économique et leur création de valeur.

Les crises ont un impact sur la résilience et la trésorerie des entreprises

Les pénuries de biens, l’explosion des frais de fret, l’allongement des délais de livraison, l’augmentation du coût de la main d’œuvre ainsi que la volatilité de l’énergie perturbent les chaînes d’approvisionnement des entreprises françaises et internationales. Cette sensibilité à la dépendance au marché des chaînes logistiques est fortement associée à des logiques financières de juste à temps empruntées par les entreprises pour limiter leur besoin en fonds de roulement (BFR) et alléger leur coût de production. En temps de crise, cette méthode de production par flux tendus ou flux tirés qui consiste à se faire livrer les matières ou produits au moment exact du besoin pour une utilisation directe, génère des tensions entre clients et fournisseurs ayant pour corollaires des difficultés de fabrication. Avec pour conséquence un impact sur la solvabilité et la liquidité des entreprises dans la maîtrise de leur trésorerie, le tout amplifié par la hausse des prix des matières premières et de l’énergie, et pour certaines entreprises françaises le début du remboursement de leur Prêt Garanti par l’État (PGE).

Pour mémoire, la solvabilité et la liquidité sont des éléments primordiaux du bon fonctionnement des entreprises ; ces éléments peuvent s’analyser deux manières :

  • Statique sur un calcul de la trésorerie nette avec les données présentent dans le bilan de l’entreprise. Cette approche est fortement liée à deux notions complémentaires que sont le fonds de roulement (FR) et le besoin en fonds de roulement (BFR) dont un des paramètres est le délai de paiement,
  • dynamique sur une évaluation de la capacité d’autofinancement (CAF). La CAF se définit comme la trésorerie potentielle dégagée par l’activité de l’entreprise au cours de l’exercice. La trésorerie observée est un flux continu que l’entreprise a réussi à générer au cours d’une année ; elle ne tient pas compte des décalages de paiement avec les clients et fournisseurs.

Fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales

Ainsi l’ampleur de la pandémie, les conséquences de la guerre russo-ukrainienne et le fort rebond de l’économie mondiale ont aujourd’hui désorganisé les chaînes d’approvisionnement.  Celles-ci sont devenues extrêmement longues, fragiles et complexes avec pour conséquences :

  • La saturation des grands ports provoquant des perturbations importantes, voire des retards massifs par des goulots d’étranglement,
  • La réduction ou l’arrêt de la production sur certains produits alimentaires et de l’énergie, couplé à la pénurie persistante de puces électroniques dans les secteurs de l’automobile ou de l’aviation,
  • Des mouvements de relocalisation et de diversification des sources d’approvisionnement entamés par certains grands groupes pour renforcer leur résilience avec pour choix selon les secteurs de revenir en Europe,
  • La hausse des prix face à la persistance des difficultés de production et d’approvisionnement pouvant entraîner des tensions inflationnistes.

Cette situation montre l’interconnexion et l’interdépendance des grandes parties du monde et des États, les problèmes de souveraineté, la vulnérabilité du système d’approvisionnement mondial ainsi que la très grande dépendance de certaines entreprises au commerce maritime. Confrontées à ces crises, les entreprises adaptent leur chaîne d’approvisionnement et leur modèle de production. Pour échapper à cette difficulté systémique et parer de potentielles pénuries, certaines entreprises accumulent des stocks de sécurité ou recherchent des fournisseurs alternatifs pour sécuriser leur croissance et pour certaines leur survie même. Toutefois, ces adaptations ont un coût et impactent les rentabilités tout comme les trésoreries.

Ces orientations stratégiques sont confirmées par l’étude « Chain Reaction – Holistic Supplier Management is Key to Business Success», commandée par Ivalua et menée par Forrester Consulting sur des entreprises comptant au moins 1 000 salariés, et situées en Amérique du Nord, en Europe et en Asie-Pacifique :

  • 54 % des entreprises interrogées ont augmenté leurs niveaux de stocks,
  • 46 % se sont tournées vers des fournisseurs plus proches, dans ou en dehors des frontières nationales.

Autre risque non négligeable pour les entreprises : le risque de réputation dans le choix des partenaires et les valeurs qu’elles défendent. Les entreprises doivent de plus en plus jouer la transparence sur leurs relations commerciales et leur éventuel engagement avec des pays ou dirigeants politiquement exposés.

Impact sur les risques contractuels dus à la crise russo-ukrainienne

Les contrats commerciaux sont au cœur des enjeux économiques des entreprises impactées par la crise russo-ukrainienne qu’elles soient clientes ou fournisseurs. Ainsi les entreprises françaises qui commercent avec ces deux pays doivent s’assurer de leur conformité au regard des sanctions énoncées par l’Europe tout en faisant preuve de diligence. Une relation commerciale avec un fournisseur de ces pays fait en effet planer un risque juridique important. En vertu du devoir de vigilance, il faut pour les entreprises :

  • Passer au crible leurs partenaires commerciaux pour identifier les clients et les fournisseurs avec lesquels les transactions ne sont plus possibles tout en vérifiant leur actionnariat et leur bénéficiaire effectif par rapport à une liste de personnes et de sociétés avec qui il est interdit de commercer,
  • Etudier les contrats et les clauses de « force majeure » pour éviter que le cocontractant réclame un quelconque dédommagement,
  • Vérifier si les produits ne font pas l’interdiction d’exportation,
  • Maîtriser la chaîne de paiement avec la déconnexion depuis le 12 mars de 7 banques russes du système de messagerie financière Swift.

La crise russo-ukrainienne augmente les risques pesant sur l’économie européenne et notamment française avec l’émergence de nouveaux problèmes d’approvisionnement dont l’impact économique dépendra de l’ampleur et de la durée de cette tension.

Dans cette situation, les entreprises ont également des interrogations sur l’évolution des prix de l’énergie, la pénurie de certains composants, la difficulté de recruter, l’inflation. Cette dernière va-t-elle se poursuivre entraînant dans son sillage un ralentissement économique, voire une énième crise ? Les banques centrales vont-elles être tentées d’élever leurs taux directeurs, pour contrer l’augmentation des prix ? …

Les nouveaux risques de transition écologique, une menace ou une opportunité à intégrer dans la stratégie future des entreprises 

L’ensemble de ces réalités fait que les entreprises sont confrontées à de nouveaux risques avec un futur incertain fortement lié à la durée du conflit russo-ukrainien et l’évolution de l’impact du Covid-19. Sans oublier le changement climatique et sa cohorte de catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes qui l’accompagnent. Face à a cette tension climatique, la transition écologique devient un évènement macro-économique significatif pour les entreprises. Cette transition est tirée par :

  • Des actions de prévention des sociétés engagées autour de critères de Responsabilité Social et Environnemental -RSE- et de durabilité déclinant les Objectifs de Développement Durable – ODD. Le développement durable a été défini en 1987 dans le rapport Brundtland. Est considéré durable un “développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs”,
  • La convergence des volets financier et extra-financier dans l’analyse d’une société. L’un des objectifs de l’analyse de ces données est de permettre une comparaison et une évaluation facilitée de la performance RSE des entreprises et de leur évolution par secteur d’activité et/ou par taille d’entreprise,
  • De nouveaux comportements des donneurs d’ordres, banques et investisseurs assortissant leurs conditions de financement, d’investissement ou d’appel d’offres de critères de durabilité.

Ces évolutions comportementales sont impulsées également par des lois et relayées par la fiscalité ou l’investissement durable le tout attaché aux futurs règlements et directives européennes telles que le « Corporate Sustainability Reporting Directive » – CSRD – ou les règlements Taxonomie ou « Sustainable Finance Discolure Regulation » – SFDR. La volonté du législateur européen est ainsi d’inciter les entreprises à mieux intégrer la RSE à leur stratégie et à leur modèle d’affaires en s’appuyant sur un cadre normatif et comparable.

Ainsi, pour engager une véritable transition écologique, il est indispensable que les entreprises identifient, quantifient et partagent leurs impacts écologiques. Cette transition implique pour certaines, parfois l’abandon d’une partie du mode de production actuel pour aller vers de nouvelles formes de création de valeur. En fait, la question n’est plus de savoir s’il faut mener la transition écologique, mais comment cela peut être fait sans menacer la compétitivité des entreprises à court et moyen termes.

Au-delà des actions de transition proprement dites, le principal enjeu aujourd’hui pour les entreprises est d’entrer en transition sans remettre en cause leur viabilité, et dans la mesure du possible en faisant de leur évolution un atout. Toutefois, si la recherche de la performance RSE doit générer un avantage compétitif, elle engendre également des coûts supplémentaires pour l’entreprise. Comprendre la nature de la relation et les interactions entre la performance RSE et la performance financière n’est donc pas si facile pour les entreprises.

Tableau de sensibilité de quelques secteurs d’activité, complété de l’Indice de Dynamisme Entrepreneurial d’Ellisphere* en 2022

 

Secteur d’activité

Sensibilité Indice Développement Entrepreneurial 2022
Crise russo- ukrainienne Pandémie – Covid-19 Transition écologique
Moyens de transport ++ ++ +++ 1,31
Distribution + = ++ 1,51
Agroalimentaire ++ = ++ 1,48
Banques, assurances + = +++ 2,86
Biens d’équipements industriels ++ = + 1,15
Bâtiment & Travaux Publics + ++ +++ 1,64
Mines, métaux, pétrole, gaz +++ = +++ 4,11
 Pharmacie = +++ = 0,89
Tourisme + +++ +++ 1,49

*L’Indice de Dynamisme Entrepreneurial (IDE) d’Ellisphere mesure la capacité de renouvellement d’une population d’entreprises d’une zone géographique ou d’un secteur d’activité (NAF). Sur une période donnée, il établit le rapport entre le nombre de créations et le nombre de disparitions d’entreprise ayant un siège en France métropolitaine. 

 

Conclusion : avoir des indicateurs sectoriels et financiers sont nécessaires à la gestion et la maîtrise des nouveaux risques

La résilience des entreprises face à ces chocs d’activité intégrant la transition vers une économie bas carbone, dépend des marges de manœuvre financière et de trésorerie que les sociétés pourront développer dans un contexte de resserrement de la politique monétaire et de la dégradation des conditions d’octroi de financement bancaire. C’est ainsi que certains secteurs soulèvent plus d’inquiétudes et d’interrogations que d’autres.

L’instabilité des chaînes d’approvisionnement résultant des tensions géopolitiques, climatiques et de main d’œuvre constitue un risque important pour les sociétés. Ainsi, disposer de données sectorielles et financières pertinentes autour d’indicateur métier est primordial dans la gestion des tiers. Toute décision de crédit nécessite une compréhension des marchés et des secteurs d’activité complétée d’une analyse financière.

Certains secteurs d’activité sont plus sensibles aux conjonctures économique, géopolitique ou écologique et nécessitent ainsi une quantité d’information plus importante afin de garantir une analyse de qualité. En effet, chaque secteur présente des différences dans son développement. Les données sectorielles analysées en temps réel doivent intégrer les processus décisionnels des entreprises. Elles apportent de la connaissance nécessaire pour renforcer les décisions autour de la gestion des risques des tiers, la protection des actifs, la continuité et la croissance des activités sur des marchés à moindre risque.

Les risques opérationnels dans les chaînes de valeur des entreprises sont ainsi directement liés aux risques réglementaires, financiers, de marché et de réputation, à leur vulnérabilité et aux aléas. Un casse-tête pour les entreprises.

Pour conclure, on constate que les relations internationales, l’activité des entreprises et la transition écologique sont étroitement liées dans la gestion des risques. De plus, les conflits internationaux, résultats de choix géopolitiques stratégiques, sont à l’image d’un monde en mutation perpétuelle.  « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. », citation attribuée par certains à Winston Churchill.

Les nouveaux risques des entreprises
Vulnérabilité Points de vigilance
Financier – économique Inflation, imprévisibilité de la pandémie et de la crise russo-ukrainienne, taux d’intérêt, absence de trésorerie ou capitaux propres pour accompagner la reprise économique, évolution des modèles économiques, perturbations des chaînes d’approvisionnement, sanctions commerciales…
Géopolitique Approvisionnement – Production Risque d’entrave au commerce international, différents conflits nationaux ou internationaux, le protectionnisme de certains états, avenir économique, politique et social des échanges internationaux, réorganisation des chaînes de production mondiale pour réduire la dépendance aux aléas d’approvisionnement, évolution du partage de la valeur ajoutée, vieillissement des infrastructures logistiques, technologies connectées, transfert des données…

Transition énergétique

RSE

Accidents météorologiques et industriels, changement climatique, réduction de la biodiversité, diminution des ressources naturelles, augmentation des risques environnementaux, énergie de remplacement, rénovation des bâtiments, développement des transports doux, partagés et collectifs…