Même si le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) remonte à la deuxième moitié du 19ème siècle, avec des revendications sociales nées lors de la révolution industrielle, la transparence des entreprises en matières environnementale et sociale, dans le cadre d’une approche globale, est une tendance que l’on peut observer en Europe depuis le début des années 2000. Le reporting de données non financières permet d’évaluer la valeur d’une entreprise au travers du capital humain et social d’une entreprise, via un prisme plus large que celui d’une approche strictement comptable.

Les différences entre les termes « social », d’emploi classique, et « sociétal », néologisme mal fondé et anglicisme en vogue depuis quelques décennies, n’étant pas clairement établies (les deux concepts se recoupant souvent), nous envisagerons dans l’article ces deux termes comme synonymes.

Historique du concept et des notions liées

Au 19ème siècle, lors du développement industriel, plus que de RSE à proprement parler, il s’agit d’une approche paternaliste dans les grandes entreprises industrielles, en rapport avec par la prise de conscience et le développement d’une certaine morale sociale chez les dirigeants. Ce mouvement est principalement consacré par des actions de bienfaisance.

Dans les années 1950, est opérée une reprise de ce mouvement par des auteurs américains qui forgent le concept de RSE en partant de postulats religieux et éthiques.

Ainsi, en 1953, Howard Bowen, pasteur protestant, publie un ouvrage intitulé «Responsibility of the business man ». Il est le premier à utiliser le terme de « Corporate Social Responsibility », traduit ensuite par « responsabilité sociale de l’entreprise ». Dans son livre, Bowen insiste sur la part essentielle de l’entreprise au développement des valeurs nationales américaines en termes de possibilité d’ascension sociale. Cet ouvrage a posé les fondements de la RSE et a marqué son avènement.

En 1970, Milton Friedman, un des économistes les plus importants du XXème siècle, écrivait que « la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits ». Ce point de vue était alors représentatif de l’incrédulité propre à cette époque concernant le monde des entreprises.

Dans les années 1980, une autre vision de l’entreprise émerge et de nombreuses études voient le jour, considérant que l’entreprise n’est pas seulement responsable devant les détenteurs du capital mais également devant l’ensemble de ses employés, fournisseurs, clients, territoires sur lesquels elle est installée (Edward Freeman en 1984 avec « Gestion stratégique : une approche des parties prenantes », et Archie B. Carrol en 1999 avec la théorie des parties prenantes).

En 1992 se tient le deuxième sommet de la Terre à Rio de Janeiro, avec la présence de 173 chefs d’Etats. Cette conférence donna lieu à l’adoption de la convention de Rio et à la mise en place de l’Agenda 21 (programme d’action pour le 21ème siècle orienté vers le développement durable). Ce dernier a pour but de lutter contre la misère et les exclusions, et de promouvoir la production de biens et de services durables et la protection de l’environnement.

Depuis les années 1990, de nombreux cadres normatifs nationaux et internationaux ont été créés et ont fourni des recommandations communes visant au respect général de cette responsabilité sociale. On peut citer :

– les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales

– la déclaration tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale

– le Pacte Mondial des Nations-Unies (Global Compact), lancé en juillet 2000

– les lignes directrices ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations (il ne s’agit pas d’exigences, donc pas de certification liée)

– les principes directeurs de l’ONU relatifs aux droits de l’Homme et aux sociétés transnationales

En France, depuis le début des années 2000, plusieurs évolutions législatives ont ancré dans les pratiques ce reporting extra-financier. En 2001, la loi dite NRE (sur les nouvelles régulations économiques) a obligé pour la première fois les entreprises cotées à publier certaines de ces informations. Mais c’est surtout la loi dite Grenelle II, de 2010, qui a véritablement posé le dispositif principal, appelé reporting RSE (responsabilité sociale et environnementale).

Depuis la transposition le 19 juillet 2017 de la directive 2014/95/UE (par l’ordonnance n° 2017-1180) concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, le dispositif dit « Grenelle 2 » disparaît et est remplacé, pour les exercices ouverts à compter du 1er septembre 2017, par celui instituant une déclaration de performance extra-financière. Il ne s’agit plus désormais de renseigner une liste précise d’informations RSE préétablies et identiques pour toutes les sociétés mais d’une déclaration qui présente :

– le modèle d’affaires

– les principaux risques sur des thématiques non financières

– les politiques et diligences mises en œuvre et leurs résultats

– les indicateurs clés de performance

Ce nouveau dispositif est entouré de nouveaux textes relatifs à des sujets connexes : loi sur le devoir de vigilance promulguée le 28 mars 2017 (synthèse des mesures dans la chronologie au bas de ce document), loi Sapin II, réforme du rapport de gestion, etc. La combinaison de ces nouvelles obligations représente un enjeu important pour de nombreuses entreprises, avec parfois présentation conjointe dans leur rapport de gestion des risques extra-financiers et des mesures de vigilance qu’elles mettent en œuvre.

Le projet de loi Pacte, présenté au conseil des ministres français en date du 18 juin de cette année contient différentes dispositions RSE, dont une synthèse est présente dans la chronologie située en fin d’article.

Les enjeux

Les avantages de ces dispositifs sont principalement l’obtention d’informations extra-financières grâce à leur publicité rendue obligatoire et les gains en termes de réputation pour l’entreprise qui développe sa communication RSE.

Les points faibles des dispositions RSE, outre les différentes méthodes d’évaluation des impacts, reposent sur le fait que les informations sont rédigées de manière libre par les entreprises concernées ; l’ensemble rendant les évaluations difficilement comparables d’une entreprise à une autre, sans retraitement à posteriori.

Lexique

RSE : la responsabilité sociale de l’entreprise est, d’après une définition donnée par l’Union Européenne en 2001 dans un livre vert, un concept par lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes, sur une base volontaire.

Charte de la diversité : lancée en octobre 2004, la charte de la diversité incite les entreprises à garantir la promotion et le respect de la diversité dans leurs effectifs. En la signant, ces entreprises s’engagent à lutter contre toute forme de discrimination et à mettre en place une démarche en faveur de la diversité.

Climat social : niveau de satisfaction des personnes au sein d’une entreprise.

Communication responsable : la communication responsable intègre les principes du développement durable aussi bien sur le fond que la forme d’un message en prenant en compte des notions clés comme l’éthique, la transparence ou la légitimité.

Développement durable : développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.

Economie circulaire : organisation d’activités économiques et sociales recourant à des modes de production, de consommation et d’échange fondés sur l’écoconception, la réparation, le réemploi et le recyclage, et visant à diminuer les ressources utilisées ainsi que les dommages causés à l’environnement.

Efficacité énergétique : rapport entre ce qui peut être récupéré utilement de la machine sur ce qui a été dépensé pour la faire fonctionner. On parle alors de rendement (« ce qui nous intéresse sur ce que cela coûte »). L’efficacité énergétique vise à augmenter ce rendement donc à diminuer les coûts initiaux afin d’augmenter les rendements et donc dépenser un minimum d’énergie pour un même procédé.

Energies renouvelables : énergies dont la consommation ne diminue pas et n’influe pas sur la ressource à l’échelle de temps humaine.

ISR (Investissement Socialement Responsable) : l’ISR est une forme de placement qui vise systématiquement à prendre en compte des critères extra-financiers liés à l’environnement, au social et à la gouvernance (on parle aussi de critères ESG), c’est en somme l’application des principes de développement durable à la sphère financière.

ISO 14000 : la série des normes ISO 14000 désigne toutes les normes concernant le management environnemental.

ISO 26000 : la norme ISO 26000 concerne la responsabilité sociétale des organisations. Elle définit comment les organisations peuvent et doivent contribuer au développement durable.

Management environnemental : méthode de gestion d’une organisation qui prend en compte l’impact environnemental de ses activités, qui évalue cet impact et vise à le réduire.

Pacte Mondial (Global Compact) : initiative des Nations Unies lancée en juillet 2000 afin d’inciter les sociétés à travers le monde à adopter une attitude socialement responsable en s’engageant à intégrer et à promouvoir des principes relatifs aux droits du travail, aux droits de l’Homme, au développement durable et à la lutte anti-corruption.

Performance énergétique : quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée dans le cadre d’une utilisation standardisée à partir de valeurs de référence.

Chronologie

15 mai 2001 : publication de la loi NRE (sur les Nouvelles Régulations Economiques), qui oblige les sociétés cotées à publier, dans leur rapport de gestion, des informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Le décret d’application est publié par le gouvernement Jospin en février 2002.

12 juillet 2010 : promulgation de la loi Grenelle II qui met en œuvre les engagements du Grenelle de l’environnement. Son article 225 est spécifiquement relatif à la transparence des entreprises en matière environnementale et sociale.

24 avril 2012 : publication du décret d’application de l’article 225 de la Grenelle II qui étend les obligations, pour les entreprises, à publier dans leur rapport de gestion des informations sur les « conséquences sociales et environnementales de leurs activités, et sur leurs engagements sociétaux en faveur du développement durable ».

Principales évolutions par rapport à la loi NRE :

  • Extension des obligations aux sociétés non cotées de plus de 500 salariés.
  • Élargissement des thématiques sur lesquelles les sociétés doivent publier des informations (accidents du travail, égalité de traitement entre salariés, respect des conventions de l’OIT1, loyauté des pratiques, etc.).
  • Obligation de reporting sur le périmètre financier consolidé intégrant les filiales étrangères.
  • Obligation de vérification par un organisme tiers indépendant avec une attestation de présence de ces informations et un avis sur leur sincérité.

9 décembre 2016 : promulgation de la loi Sapin II qui à compter du 1er juin 2017, a imposé une obligation générale de transparence et de prévention de la corruption pour les entreprises de plus de 500 salariés et d’au moins 100 millions d’euros.

On peut noter une convergence entre les exigences en termes de lutte anti-corruption et celles relatives à la RSE. Les entreprises ont aujourd’hui l’obligation d’inscrire dans leur rapport de gestion les informations relatives aux actions de prévention de la corruption. La mise en conformité renvoie à l’obligation de respecter les normes professionnelles et déontologiques, les codes de bonne conduite, les règles spécifiques applicables à une activité. Elle renvoie également à la capacité que possède une entreprise à mettre en place des processus qui visent à assurer une bonne gouvernance. Dans ce sens, la RSE peut parfaitement s’accorder avec les programmes de compliance, et notamment les codes d’éthique qui en font partie. 

27 mars 2017 :  promulgation de la loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Ce texte complète le RSE. Il incite les entreprises à mieux maîtriser les risques de toute natures associés à leur chaîne de sous-traitance.

Cette loi créée l’obligation, pour les sociétés par actions employant, en leur sein ou dans leurs filiales, au moins 5 000 salariés en France ou au moins 10 000 salariés dans le monde, d’établir un plan de vigilance, de le mettre en œuvre et de le publier.

Ce plan comporte les mesures de « vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement ». Il couvre les activités de la société, de ses filiales directes ou indirectes, de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie, dans la mesure où ces activités sont rattachées à la relation.

Il comprend notamment les mesures suivantes :

  • Une cartographie des risques.
  • Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs.
  • Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves.
  • Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques.
  • Un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre.

19 juillet 2017 : ordonnance n° 2017-1180 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises qui transpose la directive européenne 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014.

9 août 2017 : décret n° 2017-1265 pris pour l’application de l’ordonnance précitée qui précise les seuils à compter desquels certaines sociétés sont tenues de produire la déclaration de performance extra-financières ainsi que le contenu et les modalités de présentation de cette déclaration.

9 mars 2018 : dans le cadre de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), remise du rapport à Bercy de la mission « Entreprise et intérêt général » par Jean-Dominique Senard (dirigeant de Michelin) et Nicole Notat (ex-dirigeante de la CFDT), avec une proposition importante : « La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

12 mars 2018 : interview dans le Monde de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances qui confirme la volonté du gouvernement d’inscrire une « modification du code civil » dans le projet de loi PACTE qui sera présenté en Conseil des ministres au cours de la seconde quinzaine de mai. « Pour être profitables, les entreprises ne peuvent plus se détourner des enjeux sociaux et environnementauxC’est une demande des consommateurs et des citoyens comme des investisseurs. »

18 juin 2018 : présentation de la loi Pacte en Conseil des Ministres. Selon l’exposé des motifs, l’article 59 consacre la notion d’intérêt social et ouvre la possibilité aux entrepreneurs qui le souhaitent de consacrer la raison d’être de leur entreprise dans leurs statuts, suivant les recommandations du rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat. Cet article vise, d’une part, à consacrer la notion jurisprudentielle d’intérêt social au sein de l’article 1833 du Code civil. L’obligation proposée d’une gestion des sociétés « dans l’intérêt social, en considération des enjeux sociaux et environnementaux » consiste ainsi à entériner, dans le Code civil, l’application qui en est faite en jurisprudence. Tout dirigeant devrait s’interroger sur ces enjeux et les considérer avec attention, dans l’intérêt de la société, à l’occasion de ses décisions de gestion.

D’autre part, en modifiant l’article 1835 du Code civil, cela permettrait aux associés de toute société d’inscrire dans les statuts de l’entreprise sa raison d’être. Cette notion de raison d’être vise à rapprocher les chefs d’entreprise et les entreprises avec leur environnement sur le long terme. Le rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat indique que la notion de raison d’être peut être définie « comme l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». Ce projet d’article incite ainsi, sous la forme d’un effet d’entrainement, les sociétés à ne plus être guidées par une seule « raison d’avoir », mais également par une « raison d’être ».

Le prochain article consacré à la RSE abordera en détail les dispositions nationales en vigueur ainsi que les sanctions qui y sont relatives.

*Ellisphere est signataire des textes fondateurs de la RSE (Global Compact, Charte de la diversité) et rend compte des progrès réalisés chaque année auprès de ces organismes. Elle fait évaluer sa performance par un organisme indépendant EcoVadis => score de 70/100 en 2020 (niveau “avancé “) : certification et profil développement durable.
Ellisphere respecte les 10 principes universels du Global Compact de l’ONU sur les droits de l’homme, les normes de travail et l’environnement.
Ellisphere est signataire de la Charte de la diversité pour faire connaître et accentuer son engagement en la matière.
Ellisphere est signataire de la Charte développement responsable du SNCD (édition 2020).
Ellisphere est signataire de la Charte Relations Fournisseurs responsables du CNA/Médiateur des entreprises.